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Nulle part

Samedi, 18. juin 2011 17:59

A mon arrivée c’est Mount qui était venu me chercher à l’aéroport. Il portait une pancarte avec mon nom dessus et se tenait droit derrière le cordon d’accueil bleu. La pancarte il la tenait à l’envers et il m’a fallu un certain temps pour oser m’approcher de lui, après avoir désespérément chercher dans la foule, un comité d’accueil plus officiel ou quelque chose de plus rassurant.

Il semblait venu seul et aussi perdu que moi dans le hall bruyant et agité. A la fois nerveux, ravi, mais aussi pressé. De quitter tout ce bazar. aussi pressé que moi de boire une bière, de reprendre mon souffle ne serait-ce qu’une seconde. Nous nous sommes longuement serré la main, j’ai sorti quelques mots confus partis s’écraser directement contre son air surpris et des yeux rieurs. Quelqu’un était venu me chercher, m’avait trouvé et c’était presque inespéré.

Il nous a fallu une vingtaine de minutes pour retrouver sa voiture après avoir passé en revu l’ensemble des parkings de l’aéroport. Je n’étais pas inquiet, lorsqu’il tournait vers moi un air sombre, je haussais les épaules. L’air de celui qui n’avait aucun moyen de l’aider. Personne n’etant capable de décrire correctement un véhicule par la seule aide de ses mains. J’imagine que les heures passaient au dessus du vide, les escales et le décalage horaire m’avaient rendu totalement imperméable à tout ça, ou complètement vidé.

J’aurais pu m’endormir assis sur ma valise, juste en fermant les yeux, le sol aurait pu s’ouvrir sous mes pieds, c’était comme si je découvrais la fatalité. C’est à peine si j’ai grimacé en distinguant la route défiler par les trous du plancher de son 4×4 et je me suis même surpris à rire en voyant la ville nous quitter peu à peu et le désert se dessiner tout autour de nous. Je riais malgré la fatigue, malgré la peur naturelle que m’inspirait l’inconnu de ma situation.

Je n’avais aucune idée de son âge, les sillons profonds de son front, au dessus de ses pommettes écarlates, ne donnaient que des indications vagues sur le climat et le temps qu’il devait passer dehors. Quant aux yeux qu’il à posé sur moi, ils avaient quelque chose d’enfantins.

Le rire l’a surpris, il a descendu la fenêtre de sa portière pour nous faire profiter du sable et des cailloux, puis il a enfoncé la pédale de l’accélérateur, comme pour chercher de quoi se griser lui aussi. Il a retrouvé son sourire en même temps que sa voiture au détour d’une allée, et j’aurai aimé lui raconter que de même, je ne savais jamais ce que je faisais de mes affaires.

Depuis Mount a refait le plancher de son 4×4 avec des pièces négociées auprès du chauffeur de la navette qui relient les casernes du coin et qui chaque semaine, nous approvisionne en denrées, en linges et vêtements propres. Les sièges expulsent encore de la mousse synthétique jaune par endroit mais mes reins la supportent d’avantage que les planches installées sur le plateau du camion de Rodrigues.

En l’attendant sur le siège passager, je suis resté un moment à ne penser à rien. Mount entassait des cartons de nourriture à l’arrière et le jour se levait faisant disparaître les étoiles une à une. Je commençais à me demander si cette excursion était une bonne idée, si je n’aurai pas mieux fait de profiter de cette journée de repos pour dormir un peu, rédiger le courrier que j’avais promis d’envoyer ou même me mettre à écrire sur ces derniers jours. J’aurai pu prendre le temps de faire d’avantage connaissance avec Richard, de lui proposer une visite du village ou simplement partager quelques bouteilles de leur fameuse bière.
La chaleur de mon manteau m’enveloppait, et en fermant les yeux j’ai pensé à ma première voiture, à la première femme qui avait pris place à côté de moi, à mon mariage, à mon divorce et à l’année épuisante qui avait succédée.

Nous sommes parti après l’aube en direction de ce qui me semblait être l’Est. Le froid, avec l’aide du vent suintait de partout, la piste gondolée faisait remuer les amulettes suspendues autour du rétroviseur et des morceaux de métal grinçaient tout azimuts. J’ai rapidement mis mon bonnet, ce n’était pas comme partir que vers l’inconnu dans un désert hostile, c’était aussi partir des heures avec quelqu’un qui ne parle pas votre langue dans une machine à courant d’air.

Cela s’était organisé sans un mot autour d’une photo imprimée sur le calendrier utilisé par Rodrigues pour noter les jalons du planning. Ce soir là, il me présentait les dates avec la grimace de celui qui veut tenir les délais pour abréger un séjour loin de chez lui. Les échéances représentaient pour lui le retour dans sa famille et pour d’autres l’ouverture de cinq nouvelles classes, quant à moi, je ne savais pas encore. Nous étions penchés au dessus du bureau de Mount et ils se sont croisés lorsque Rodrigues est parti. D’un coup de tête, le concierge m’a demandé si tout allait bien, je lui ai montré le calendrier et j’ai levé un pouce pour résumer la situation. Il a du croire que je parlais du paysage sur la photo car il a aussitôt écarquillé les yeux, a laissé échappé un mot ou deux, hochait la tête plusieurs fois en passant une main sur la photo. Il a ensuite pointé du doigt le dimanche suivant en me donnant une tape dans le dos et en levant le pouce comme il m’avait vu le faire.

Mount était agité comme le premier jour de notre rencontre, plus on avançait dans le jour, moins il tenait en place sur son siège. Un thermos de thé roulait à nos pied selon les embardées de la voiture et à chaque fois qu’il rencontrait son pied, il me faisait des signes m’indiquant que j’étais invité à en profiter, lorsqu’il ne tournait pas les boutons censés nous propulser de l’air chaud dans tous les sens ou donnait des coups de point dans le tableau de bord en riant de toutes ses dents.

La plupart du temps je gardais mes yeux fermés, le soleil venait butter dessus et je me laissais aller à l’impression que cela suffisait à réchauffer tout mon corps. J’aimais cette couleur orangée que laissaient filtrer mes paupières. L’effet de la lumière formait de petites larmes juste sous mes cils et je m’amusais à ouvrir suffisamment les yeux pour apercevoir le monde brouillé et déformé à travers ce liquide collé à ma rétine. Parfois, lorsque la piste s’annonçait droite et moins chaotique, je buvais un gorgée de thé, les épaules rentrées, m’autorisant à sourire aussi, un peu.

Il a entassé tout le bazar à l’arrière et on a mis le cap sur la caserne. Un vent froid a soufflé rageusement et le coin s’est mis a ressemblé un peu plus à une banquise qu’à un désert. Mais j’aimais bien ça, j’aimais la couleur du sol, je commençais à avoir un penchant pour les grandes étendues dégagées.

Catégorie: Non classé | Commentaires (0) | Autor: C&L